jeudi 19 février 2009

Une capsule dans l’univers

Je tiens à vous dire, mes descendants et ceux de votre époque, que certains étaient assez lucides sur l’orientation que prenait notre espèce. Vous devez vous demandez pourquoi nous n’avons rien fait, rien dit, rien stoppé de cette autodestruction qui s’accélérait. La plupart d’entre nous étions dans une condition telle que toutes les énergies étaient réservées à la recherche de la nourriture pour nous et notre propre famille pour le lendemain. Celles et ceux qui faisaient parti des plus aisés, dont je fais parti d’ailleurs, ont préféré profiter de leur situation sans risquer de la compromettre par des actions de contestation.
Je veux vous dire que nous savions, ce qui est encore plus criminel, et nous n’avons pas fait grand-chose.
Cette capsule dans l’univers vous est destinée. Elle arrive de l’année 2008, date du début des grandes famines. Date à laquelle les conducteurs de nos sociétés, ces vautours impitoyables, accumulaient les pillages sans que cela ne nous révolte autre mesure. Cette capsule ne vous apportera pas la possibilité de revenir à notre époque, peut être est-ce mieux ainsi d’ailleurs, mais peut être vous permettra-t-elle de comprendre les raisons de notre fin.
C’est avec une tristesse abyssale que je vous écris. Je mets dans cette capsule le souffle de mes derniers élans d’espoir. Ils étaient deux, nous étions cent et pourtant, la peur au ventre et la morosité nous ont figé. Nous avons préféré mettre nos têtes dans le sable, en espérant que les temps allaient s’arranger d’eux-mêmes. Mais comme disait l’autre, Dieu est trop vieux, il n’est plus maître de rien.
Il eu fallu que nous nous aimions, mais nous avions cessé. Après la longue période d’esclavage des noirs d’Afrique, ils travaillaient très fort pour se réapproprier le respect d’eux même, à travers le respect de leur négritude. Je pense que l’Homme aurait dû chercher à se réapproprier le respect de lui-même. Et laisser plus de place aux femmes aussi. Mais nous avons préféré faire l’autruche, en ne nous aimons pas, nous nous sommes niés. Nous avions nié l’autre. Nous étions dégoutés de notre humanité. Certaines et certains d’entre nous avaient décidé de raser leur pilosité qui nous rappelait notre état d’animal. D’autres se mutilaient le corps et confrontaient mère nature. Les seins par ici, les lèvres par là, la peau ici, les fesses par là. Notre corps ne nous appartenait plus par ailleurs. Il était un champ de bataille pour les entreprises spécialisées dans les cosmétiques. Elles avaient flairé notre dégoût de nous même. Elles avaient décidé d’en profiter.
Que voulez vous. Nous ne nous aimant plus, pourquoi nous serions nous révolté. Pour sauver quoi?
La machine à charbon s’est emballée. Pour accumuler il ne fallait plus travailler mais faire travailler les autres. Les industriels pouvaient produire à plus grande échelle, la capacité de production était multipliée. La machine s’est emballée et les européens ne suffisaient plus à acheter tout ce qui sortait des usines. Alors les grands princes coloniaux de ses nations ont été envoyés pour trouver des nouveaux marchés à inonder. Et de nouvelles matières premières à piller. Et la machine s’est encore plus emballée. Nous avons creusé la terre pour prendre ce que des millions d’années avaient fait vieillir. Nous avons construit des bateaux usines, capable de traiter en une journée ce qu’un piroguier sénégalais pêchait en 55 ans. Nous creusions sous la mer pour accélérer les échanges de marchandises. Nous avons entrepris de construire les avions capables de transporter 800 personnes et capables d’accueillir un casino à son bord. Même pendant un vol par-dessus l’atlantique il fallait faire de l’argent. Les clients captifs dans l’avion étaient une cible de choix pour la consommation. Nous avons appris à faire tomber la pluie, à photographier une souris sur terre à partir de l’espace, mais nous n’avons pas pensé assez sérieusement que cette quête effrénée pour l’accumulation était en train de nous perdre.
C’est comme si nous avions un doigt coupé, mais qu’au lieu de réagir nous avons sucé notre propre sang et que rapidement nous y avons mis les dents.
Nous avons décidé de suivre les économistes, les financiers et les comptables. Nous avons délaissé les poètes.
Je vous le dis, nous serions malhonnêtes de vous dire que tout cela était imprévisible. Même nos enfants de dix ans étaient moins schizophrènes que nous, adultes. Pendant que nous faisions des guerres à 500 milliards de dollars,… d’ailleurs nous ne l’avions pas décidé. Pour la majorité, nous n’étions pas en accord avec cette guerre, mais nous n’avons presque rien dit, rien fait. Alors les vautours impitoyables ont construit la guerre à 500 milliards et s’en sont repus. Pendant ce temps, la partie aisée de la société mondiale courrait à vouloir devenir membre du club des vautours mais ces derniers ce sont joués d’eux. 1000 milliards pour une crise financière qui mit les crapauds qui voulaient être bœuf sans le sou. Le club des vautours n’acceptaient pas de grossir. Pour accumuler il fallait faire travailler les autres.
En cette année 2008, nous réalisions que c’était déjà trop tard. Depuis plus de 15 ans, nous nous étions autoproclamés grands conseillers de la cité mondiale à travers les grandes organisations internationales que nous financions. Nous avions sommé les pays pauvres de ne pas se préoccuper de leur agriculture. A grand coup de rhétorique du développement, du sous développement, depuis la fin de la seconde guerre mondiale, nous nous sommes présentés en modèle à atteindre. Mais en réalité, nous transformions et nous leur revendions. Nous subventionnions et nous les inondions de nos surplus. Mais les denrées se sont faites plus rares et les pays producteurs de céréales ont commencé à fermer leurs frontières à l’exportation. Nous avions décidé de nourrir nos voitures plutôt que les gens dans le besoin. Les pays à déficit vivrier et à faible revenu se sont trouvés sans ressources. Et les conflits tant annoncés concernant la raréfaction de l’eau potable au niveau mondial furent précédés par les conflits pour la nourriture.
Je vous le dis, pendant que nous nous gargarisions des avancées médicales, des envois de touristes dans l’espace, du décodage du génome humain, des autres animaux et des plantes, les vautours étaient à l’œuvre et avaient décidé de sacrifier notre société pour continuer à empiler les liasses de papier monnaie dans leurs coffres forts logés dans les paradis fiscaux à l’abris de l’impôt.
Depuis l’année 1980 la preuve avait été faite que notre planète pouvait nourrir 10 milliards d’individus sans vraiment compromettre la durabilité des ressources, de la planète et des populations. Mais la machine s’est enraillée. Et nous n’avons pas trouvé dans notre imaginaire la force de penser autrement. Cela faisait d’ailleurs bien longtemps que les écoles ne stimulaient plus l’imaginaire. Les écoles formaient des consommateurs, des employés, mais avaient arrêté de former des citoyens. Il était bien plus simple pour les vautours de régner sur des sociétés mal portantes, mal pensantes et appauvries de l’imaginaire collectif.
Il ne nous reste plus qu’à rassembler nos dernières forces pour vous transmettre nos excuses les plus sincères. Parce que je pense que nous en sommes là à présent. Le calme relatif avant la grande tempête.

Fabrice.

mercredi 10 septembre 2008

L'ethnologue martien




Je vais m’efforcer, de mémoire, de ne pas trahir les propos de Lévi-Strauss tirés de son ouvrage Tristes tropiques. Fut un temps, on reconnaissait la supériorité des sociétés occidentales au fait qu’elles formaient et envoyaient par delà les continents, des armées d’anthropologues et d’ethnologues. Voilà l’idée sur laquelle je veux revenir dans ce texte. La suite n’est que pure fiction personnelle…

Il y avait les chercheurs et les analysés. Ces disciplines qui ont atteint leurs lettres de noblesse avant la fin de l’ère des colonisations officielles, ont développé un vocabulaire qui se veut le plus neutre et le plus scientifique possible. La recherche d’une reconnaissance en tant que discipline distinct et respectable passe souvent par cette étape. L’économie avait dû elle aussi réussir ce rite de passage à l’âge adulte. Cette prétendue neutralité, entendons absence de jugement de valeurs, donne parfois l’impression d’avoir à faire à un médecin légiste penché sur son cadavre. L’effet est d’autant plus fort que le cadavre en question était et est encore colonisé. Je me propose donc, sur le ton de l’humour de rédiger le rapport de mission sur la planète terre ou d’imaginer les notes qu’aurait pu prendre un ethnologue martien en faisant ressortir, à travers un certain vocabulaire et un angle d’analyse totalement martien, on s’en doute, un sentiment qui me met souvent mal à l’aise lorsque dans certains projets de coopération internationale, on traite des particularités des populations ciblées, en recourant à ce vocabulaire pseudo scientifique.


* Note de début de compte rendu : Je me suis efforcé non par exotisme mais par souci de respect de mon sujet d’analyse de faire traduire mes notes prises en ÓÔŋË , à savoir la langue du sud de notre planète Mars, en l’un des dialectes rencontré dans une tribut particulièrement intéressante. L’étude de l’ensemble des organisations sociales de ce satellite de Mars m’est apparue plus complexe que prévu, je me suis donc attardé uniquement sur un groupe qui vit dans une zone qu’ils nomment la France. Comme je m’étais attaché les services d’un membre du groupe, particulièrement talentueux pour se défendre lors des joutes verbales avec ses congénères, je m’aperçu qu’avec beaucoup de patience de ma part je pourrai lui enseigner notre langue. C’est à lui aujourd’hui, après ces années d’étude, que je laisse la charge de traduire en annexe de mon travail, l’ensemble de mes notes. Je travaille à ce jour sur une méthode de compréhension de leurs moyens de communication plus vulgarisé qui satisfera éventuellement la curiosité d’autres chercheurs.

Je n’éditerai pas toutes les notes prises pour ce travail de recherche. Mais sous la forme d’une chronique intitulée : « A la découverte de l’humanerie », j’en divulguerai certains passages.

L’humanerie dans son ensemble se compose de groupes sociaux ayant des fonctions et des pouvoirs bien définis. Des mécanismes inconscients sont mis en place et relativement respectés, à l’échelle du groupe étudié, qui comprend presque 60 millions de membres, pour faire perdurer un équilibre relatif. Concernant ce constat nous pourrions généraliser les conclusions à l’ensemble de l’humanerie. Mais dans un souci de respect des règles de recherche nous nous en tiendrons au groupe initialement ciblé. Les classifications sont multiples, horizontales et verticales, relativement complexes. Les français, comme ils se nomment et nous reviendrons sur cette auto-appellation, font l’expérience de ces règles de conduite au cours du premier tiers de leur vie. Ils n’auront d’ailleurs véritablement un rôle au sein du groupe qu’une fois ce temps écoulé et l’ensemble des règles strictement reconnues et intériorisées. La nature a su s’adapter à leur mode de vie. En seulement quelques centaines de millier d’années leurs comportements sociétaux ont forcé l’ordre divin des choses à se plier à certaines de leurs pratiques. C’était d’ailleurs en partant de ce premier constat et des craintes qu’il suscitait en moi, que j’avais choisi mon sujet d’étude sur ce satellite de Mars. Revenons à ces pratiques. L’humanerie peut se diviser en deux groupes. D’un côté les femmes, à qui il revient notamment de concevoir les jeunes, de l’autre les hommes qui n’ont qu’un rôle mineur tant dans la procréation que dans l’élevage des rejetons. La nature, j’y reviens produit un peu plus de femmes que d’hommes à la naissance. D’une part, un certain nombre d’entres elles succombent lors de l’accouchement. Mais d’autre part, historiquement les femmes ont subi plusieurs formes de génocide telles les chasses dites « aux sorcières ». De plus elles sont dans une proportion non négligeable mortellement victimes de comportements de l’autre groupe. Ce que nous pourrions appeler sur Mars un fait injuste, est compensé par un système de gestion des lois, quasiment contrôlé par le groupe des hommes. Majoritairement, ils votent les lois, jugent et les appliquent. De façon général, le groupe des hommes est plus puissant, les mécanismes de société ayant été construit par eux. Leurs marabouts sont des hommes, leur dieu est un homme, les artisans de leur système, qu’ils soient scientifiques ou intellectuels, le sont tout autant. On observe majoritairement, encore au temps de mon étude, qu’à la tête de ce qu’ils appellent État, sorte de machine assurant l’immobilisme social, tant en nombre qu’en influence, que les hommes y étaient beaucoup plus représentés. Ils se sont assurés qu’on utilise majoritaire les dénominations masculines dans le langage de la France. En fait, tout comme dans la société les membres de ce groupe ont divisé le langage en deux, en s’accordant sur une supériorité du genre masculin. A travers une autre petite recherche, j’ai pu constater qu’on ne retrouvait pas nécessairement l’expression de l’ascendant de ce groupe à travers le langage dans d’autres sociétés de l’humanerie. Dans des dialectes dits anglais par exemple, ce découpage n’existe pas.
Je vais conclure ce texte, en espérant pouvoir continuer à vous faire découvrir ce sous-groupe de l’humanerie, lors du prochain tirage de ce journal.

dimanche 13 juillet 2008

Voyage aux mille sens


Le voyage de sa personne dans un monde étranger c’est avant tout le voyage de ses cinq sens. Et rapidement on réalise que la culture dans laquelle nous vivons en permanence nous a transmis quelques autres sens peut être moins physiques mais qu’on apprend à découvrir dans le voyage.

L’ouïe.
Les pédo-linguistes nous disent pouvoir reconnaître dans les gazouillements des nourrissons, lors de l’analyse des amplitudes notamment les signes précurseurs des langues dans lesquelles ils sont en train de grandir. Les sonorités répétées, propre à nos cultures nous sembleront vite familières et l’inspiration musicale des artistes s’en nourrira et renforcera encore ces habitudes. Rappelons nous comment les « r » espagnol, ou arabe, ou wolof nous ont surpris les premières fois. A quel point nous n’avons pas su comment accueillir ces musiques asiatiques jouées sur un instrument proche du violon? Combien nous nous pensions incapable de reproduire aux chants ces changements de gammes des pays d’Afrique du Nord. Là s’arrêtera mes remarques, n’étant pas musiciens et n’ayant pas les connaissances de la musique pour en parler.
Après viennent s’ajouter les sens, les sensations, les codes culturelles me semblent-il, qui viennent multiplier les sollicitations à l’adaptation des sens habituellement reconnus. Les sphères du publique et du privé en sont un exemple. J’en fais actuellement l’expérience. D’où l’idée nocturne de ce texte. Il est 1h49 du matin. Je vis sur l’île de Saint-Louis au Sénégal. Depuis 49 minutes, me semble-t-il, des chans religieux ont commencé à plusieurs emplacements de l’île. On peut réaliser, quand on a un peu de temps pour y penser, ce qui m’arrive en ce moment ne pouvant dormir, que le son, ou plutôt le volume musical est culturel. Les hauts parleurs sont à la limite de leur capacité. La distorsion ne semble pas importuner celles et ceux qui participent à ces chants, il me semble même que plus le volume est fort et plus le chanteur doit donner l’impression d’être pieux. Et certaines personnes sont particulièrement croyantes ce soir. On m’a raconté assez rapidement, je ne me m’étendrai donc pas sur le sujet, qu’un responsable politique de la ville avait voulu réglementer, si ce n’est le volume au moins les heures de ces chants religieux. Il fut soit remplacé soit invité à aller pratiquer son art de la gestion de la chose publique dans une autre région du Sénégal. Ce qui m’amène à identifier que dans ma culture occidentale d’origine, la nuit appartient à la sphère privée tandis que le jour est plus ouvert à la sphère publique. La nuit c’est le repos de chacun, c’est le couvre feu pour ce qu’on appelle le bruit. Après 11h00 si le voisin continue à mettre sa musique aussi forte on appelle les flics. Vous conviendrez avec moi que le concept de bruit devient alors très culturel. Ici, les voisins ne viendront pas se plaindre.
Je me rappelle maintenant, puisque je continue à avoir du temps, de ce trajet en autobus entre les villes de Bobodioulaso au Burkina Faso et la ville de Ségou au Mali. Pendant un trajet allongé par quelques aléas aux frontières, nous avions, avec une amie avec qui je voyageais, pu faire l’expérience de chants religieux pendant presque 10 heures sans interruption. La chaleur élevée accentuée par l’état de l’autobus sans climatisation mais avec les vitres qu’on ne pouvait pas ouvrir, mêlée à ces chants d’un conducteur agressif sur la route mais lui aussi particulièrement croyants ce jour là, nous avait fait vivre une expérience auditive mémorable. Bien sûr, je n’ai rien contre ces chants religieux, mais je souligne les différences qu’il m’est donné d’identifier par rapport à ma culture d’origine, grâce au voyage. Cela me permet d’ailleurs de mieux comprendre les traits et les conventions de ma propre culture.
Et les exemples me semblent infinis. Il y a ces langues qu’on entend comme une musique chantante mais incompréhensible. Il y a les habitudes liées à l’utilisation du klaxon dont j’avais pu faire la première expérience à Istanbul. J’en étais venu à me demander si la fonction du klaxon était bien d’alerter ou bien de saluer chaque conducteur des autres véhicules, comme un code de politesse inconnu. Il y a ces personnes qui parlent fortement dans le métro de Montréal. Cela semble tellement inhabituel aux autres passagers qu’ils se retournent et rapidement imaginent ou réalisent à l’accent qu’il s’agit de touristes français. Ici au Sénégal, il y a ces chants d’enfants, ces cris pendant les combats de lutte qu’ils tentent de reproduire en dessous de votre fenêtre, dans la rue, après les avoir suivi à la télévision. Il y a ces bêlements de moutons et de chèvres qui résonnent pendant votre petit déjeuner ou lorsque vous vous brossez les dents, vous donnant l’impression d’être chez vous un berger dans les montagnes d’Irlande. Il y a bien sûr l’appel à la mosquée du muezzin qui transmet ses premières invitations à la prière avant 5h00 et dont quelques personnes étrangères au pays éprouvent des difficultés à apprivoiser. Ce n’est heureusement pas mon cas. Il y a ces marchands et ces marchandes qui vous crient la joie qu’ils ont de vous offrir la promotion du mois, de l’année dis-je. Il y a des personnes assises, placées à des endroits dont la stratégie du lieu me laisse souvent perplexes. Elles demandent de l’argent, sollicitent la charité qui est d’ailleurs l’un des cinq piliers de l’Islam, en clamant grâce à un haut parleur parfois tout en vous faisant sursauter au moment où vous êtes à leur hauteur, une louange à dieu, me semble-t-il. Je retrouve souvent l’un entre eux sur le pont qui relie l’île au continent. Peut être prie-t-il pour nous, pour nous souhaiter une bonne traversée, dans les meilleurs conditions, pour réduire le risque d’effondrement d’un pont qui ne m’inspire d’ailleurs pas vraiment confiance. S’il s’agit de cela, je m’engage pour la prochaine fois à lui donner quelques pièces. Il y a les claquements de ces fers à cheval de ces calèches qui sillonnent les rues de la ville. Il y a le bruit des volets et des portes qui s’ouvrent et se ferment brouillement réveillés par les vents annonçant la pluie imminente. Il y a les bruits inconnus de mon ventre se plaignant et me reprochant d’avoir succombé à ma dernière curiosité culinaire.
Comme je l’écrivais les exemples sont infinis, ressortent tous en même temps lors des premiers temps dans un nouveau pays, provoquant parfois l’étourdissement dans la compréhension des codes entourant l’ouïe. Avec le temps, tout cela nous semble plus familier, mais quelques fois comme maintenant pour moi, les décalages réapparaissent et c’est toute une réflexion que j’ai le temps de mener et de partager.
Il est 2h50, Saint-Louis ne s’éveille pas, puisqu’elle ne s’est pas endormie. La chanson de Dutronc est hors contexte. Mais j’ai toujours sommeil.

mercredi 9 juillet 2008

Un autre discours par les frères Azoumé


Comme je le répète, il m’importe, avec cette série de passages du livre des frères Azoumé que je m’apprête à vous livrer, de mettre à votre disposition un discours qui contraste avec des visions romantiques et complaisantes de l’Afrique, très souvent véhiculées. Il m’importe également de donner un espace à des intellectuels africains sur la situation de leur propre continent pour faire contrepoids à ces travaux d’intellectuels occidentaux qui ne sont pas placés au mieux, vous en conviendrez, pour en parler. L’histoire étant encore très fraîche.

(Hazoumé, Alain et Edgard, Afrique, un avenir en sursis, Paris, l’Harmattan 1988,
Prologue)

« Le chaos est-il si imminent, le gouffre si captivant, que nous n’osons, malgré la lucidité supposée que procure l’âge adulte, le regarder en face. La chute redoutée en sera d’autant plus inéluctable. Cet aveuglement concourt à une manière d’exorcisme, un rituel incantatoire dont le rapport avec notre imagerie traditionnelle est criant. Décidemment en filigrane de cette Afrique aux mille néons, celle des agences de tourisme et des conférences internationales ne cesse de se profiler l’autre Afrique, qu’on croyait définitivement figée sur les cartes postales et dans les manuels d’ethnologie. Savoir comment l’Occident accrût ses capacités techniques, propulsant l’homme dans l’espace, recréant l’environnement avec des images et des sons, réalisant ce que nos dieux les plus puissants étaient incapable de faire de nos rêves les plus échevelés est une interrogation majeure que nous ne nous posons pas.
Omission volontaire, mémoire sélective? Il y a longtemps que nous avons abandonné tout esprit de compétition, toute volonté de rattrapage. D’ailleurs rattrape-t-on son aîné? L’échelle du temps est implacable. Si l’on interrompait à cet instant la fulgurante évolution du monde occidental, il est probable, en prenant pour postulat la permanence des types de comportements actuels, que l’Afrique noire ne l’aurait toujours point rejoint au troisième millénaire. L’état de développement technico-culturel que connaît l’Occident n’est pas le fruit d’une accumulation mécanique de recettes savamment épicées. Il faut une mouvance rendant l’homme curieux, assoiffé de connaissances, assailli d’interrogations, sans jamais être lassé de se remettre en question, et de structurer son action.
Toutes les civilisations se valent tant qu’elles en sont ignorées. Lorsqu’elles se rencontrent, la comparaison n’est jamais flatteuse pour la plus faible et de toute manière la domination est au bout, si elle ne sait relever le défi ».