mercredi 9 juillet 2008

Un autre discours par les frères Azoumé


Comme je le répète, il m’importe, avec cette série de passages du livre des frères Azoumé que je m’apprête à vous livrer, de mettre à votre disposition un discours qui contraste avec des visions romantiques et complaisantes de l’Afrique, très souvent véhiculées. Il m’importe également de donner un espace à des intellectuels africains sur la situation de leur propre continent pour faire contrepoids à ces travaux d’intellectuels occidentaux qui ne sont pas placés au mieux, vous en conviendrez, pour en parler. L’histoire étant encore très fraîche.

(Hazoumé, Alain et Edgard, Afrique, un avenir en sursis, Paris, l’Harmattan 1988,
Prologue)

« Le chaos est-il si imminent, le gouffre si captivant, que nous n’osons, malgré la lucidité supposée que procure l’âge adulte, le regarder en face. La chute redoutée en sera d’autant plus inéluctable. Cet aveuglement concourt à une manière d’exorcisme, un rituel incantatoire dont le rapport avec notre imagerie traditionnelle est criant. Décidemment en filigrane de cette Afrique aux mille néons, celle des agences de tourisme et des conférences internationales ne cesse de se profiler l’autre Afrique, qu’on croyait définitivement figée sur les cartes postales et dans les manuels d’ethnologie. Savoir comment l’Occident accrût ses capacités techniques, propulsant l’homme dans l’espace, recréant l’environnement avec des images et des sons, réalisant ce que nos dieux les plus puissants étaient incapable de faire de nos rêves les plus échevelés est une interrogation majeure que nous ne nous posons pas.
Omission volontaire, mémoire sélective? Il y a longtemps que nous avons abandonné tout esprit de compétition, toute volonté de rattrapage. D’ailleurs rattrape-t-on son aîné? L’échelle du temps est implacable. Si l’on interrompait à cet instant la fulgurante évolution du monde occidental, il est probable, en prenant pour postulat la permanence des types de comportements actuels, que l’Afrique noire ne l’aurait toujours point rejoint au troisième millénaire. L’état de développement technico-culturel que connaît l’Occident n’est pas le fruit d’une accumulation mécanique de recettes savamment épicées. Il faut une mouvance rendant l’homme curieux, assoiffé de connaissances, assailli d’interrogations, sans jamais être lassé de se remettre en question, et de structurer son action.
Toutes les civilisations se valent tant qu’elles en sont ignorées. Lorsqu’elles se rencontrent, la comparaison n’est jamais flatteuse pour la plus faible et de toute manière la domination est au bout, si elle ne sait relever le défi ».