vendredi 14 décembre 2007

Une journée de récolte



Quel beau jeudi de récolte j’ai vécu! Nous avions convenu avec Alioune, secrétaire générale de la Fédération des Périmètres Autogérés, que je l’accompagnerai pendant la journée de battage de son riz. Arrivée à la gare routière de Saint-Louis vers 8h00, j’arrivais finalement au lieu de rendez-vous vers 10h30, moins de 40 kilomètres plus loin. Bien sûr, il fallait que le bus soit plein avant qu’il ne parte. Mais la conception du temps ici est différente, ça on l’apprend partout dans le monde. Ce qu’on apprend moins, c’est en quoi cette conception l’est effectivement. J’y reviendrai une autre fois. (J’ai bien peur, malheureusement, que, tout comme Catherine pendant son cours de philo, ces questions remis à la fin de l’année ne soient jamais abordées. Cultivons donc nos amitiés et nous aurons tout le temps d’y revenir la prochaine fois que nous nous reverrons). Simplement, vous signaler que dans ce même véhicule, j’ai retrouvé le comptable d’un programme majeur en agriculture, le PINORD, financé par Oxfam – Grande-Bretagne et que nous avons quasiment tenu réunion. Nous avons échangé autour de la commercialisation du riz et nous avons convenu que je serai invité dans leurs prochaines rencontres sur le sujet. Finalement, nous nous sommes donnés rendez-vous début janvier pour une visite avec son équipe à Ross Bethio.
On se retrouve donc avec Alioune à quelques minutes à pied de ses 3,5 hectares de culture. À notre arrivée, bien sûr, la batteuse est déjà en action. Cinq hommes s’y affèrent. Un autre referme les sacs de 85 kilos avec un long clou et un gros fil vert, qui permettrait à Alioune de reconnaître ses sacs s’ils étaient mélangés avec d’autres. Le soleil est battant, le bruit sourd de la batteuse rythme cette journée d’importance. C’est la récolte. Alors on surveille la qualité du riz, on estime la production de cette année, on transpire, c’est la récolte. Une cinquantaine de ces sacs de riz paddy, à savoir non encore décortiqué, sortiront de l’hectare qui sera battu aujourd’hui (6 tonnes à l’hectare, ce qui est au-dessus des moyennes habituellement). Tantôt la batteuse bourre. Tantôt, il faut la déplacer avec deux ânes pour l’approcher du prochain tas de tiges de riz coupées quelques jours plus tôt à la main. Et tout au long de la journée, des femmes viennent réclamer leur repas. C’est une sorte de Zarat inversée (Je m’excuse puisque je ne suis pas certain de l’orthographe). La Zarat est prescrite par le Coran et constitue l’un des cinq piliers de l’Islam. Il s’agit de faire don d’une partie de son travail à la communauté. « Pas d’économique sans social » résume Alioune, rempli d’une fierté légitime, lorsque ces groupes de femmes viennent le solliciter. Zarat inversée puisqu’à l’habitude, c’est une personne qui offre et pas quelqu’un qui demande. Peu importe. Ceux sont pas moins de 2 sacs de 85 kilos qu’il remit ainsi au cours de la journée aux quelques 35 femmes, venues tout sourire, lui présenter leurs sacs en jute et leurs seaux. Je découvre un homme sensible à la générosité. Il fait la même chose pendant la production de tomates en contre saison du riz. Il me raconte avoir été très touché par les marques de générosité que lui avaient témoignée la famille d’accueil québécoise chez qui il habita lors d’un stage en agriculture organisé par l’Union des Producteurs Agricoles du Québec.
Vers l’heure du midi (comprendre autour de 14h30) des femmes, dont la première femme d’Alioune, et des enfants arrivent en charrette et apportent le repas. A l’ombre d’un arbre, elles divisent le riz au poisson. Le souvenir des journées de récolte des foins en Normandie me revient. Je m’attends presque à sentir l’odeur du cidre qu’on servait le midi avec les pâtés et les rillettes. Finalement, les travailleurs, quelques femmes et les enfants entourent les trois grands plats communs. Nous serons environ 15 personnes à partager ce délicieux plat, servi en pleine nature, par cette belle journée de récolte. Suivront le thé, une petite pause et le concert de la batteuse reprendra.

L’histoire de mon premier Maffé

Le Maffé est un plat typiquement ouest africain. J’ai pu le découvrir pour la première fois au Mali sous le nom de « Tigadege » et je dois dire que les sénégalais savent également l’apprêter. La sauce aux arachides qui en est la base, accompagnée de légumes, tantôt de poisson, mais plus souvent de bœuf, recouvre un riz blanc, le plus souvent local, on l’espère. Bien sûr, je reviendrai plus spécifiquement sur le riz ultérieurement. Les anciens collègues de la vie bancaire que j’essaie le plus souvent d’oublier, m’avaient fait le sympathique cadeau d’un livre de recettes africaines. Cette semaine, ayant un peu de temps devant moi, je décidai de m’attaquer à ce fameux Maffé. Prenant mon courage à deux mains, je me suis engouffré dans le très vivant marché de Sor. Je vous rappelle que je vis sur une île, encastrée entre la terre ferme et la Langue de Barbarie, une bande de sable accessible grâce à un pont. Donc, d’un côté le pont Malick-Gaye pour se rendre sur la Langue de Barbarie et de l’autre le pont Faidherbe pour se rendre sur la terre ferme, là où se trouve le marché de Sor. Il est écrit dans le guide touristique « Le routard » parfois très désagréable à lire notamment pour les préjugés qu’il véhicule, que les locaux feraient une blague récurrente sur ce dernier pont. En effet, bien qu’il soit long de 507 mètres, il serait le plus léger au monde, car….Faidherbe… Je pense qu’il n’est pas nécessaire d’avoir écrit une thèse sur l’humour français pour en découvrir la griffe. Passons.
Je passe donc ce pont et commence par chercher un sachet de pâte d’arachide, ingrédient central du plat que je voulais cuisiner. C’est alors qu’un petit groupe de femmes, assis au coin d’un magasin de tissus, m’interpellent et me demandent ce que je fais avec ça dans les mains. A leur grand étonnement, elles apprennent mes intentions et les échanges s’accompagnent de rires interminables. Finalement, l’une d’elle fera le marché avec moi, pour s’assurer que je n’oublie aucun ingrédient. Elle ira même jusqu’à négocier les prix pour moi. La journée était bien commencée.
Je cuisine pendant deux bonnes heures et je décide, pas peu fier du résultat, d’inviter la femme qui fait le ménage chez moi à se joindre à moi pour le repas du midi. Elle commença par me dire, après y avoir gouté, que ma soupe était très bonne, que plusieurs femmes sénégalaises ne sauraient pas la préparer. Le compliment est de taille, mais malheureusement, mon intention n’était pas de préparer une soupe. Cela dit, je n’avais pas prévu réussir ce plat, dés la première fois et ensemble nous énumérons ce que j’aurai à améliorer. Finalement, le soir même, un ami passe pour que l’on parte ensemble voir le match Lyon-Glasgow. Il n’avait pas encore mangé. Je continue donc mes séances de torture et je l’invite. Il mangea le tiers de son assiette, prétexta qu’on avait un match à voir et conclue qu’il ne me restait qu’à améliorer ma recette.
J’en suis donc arrivé à la conclusion, que mesdames africaines, vous avez habitués vos hommes à de hauts standards en matière de cuisine. Ce que je trouvais plus que mangeable, n’arrivait pas à la cheville de votre Maffé. Mais comme le rappelait Thomas Sankara (je m’excuse d’avance puisque le contexte n’était certainement pas le même) « Là où s’abat le désespoir, réside la gloire des persévérants ». Je reprendrai donc cette tentative de Maffé et je vous en reparlerai.

mercredi 5 décembre 2007

La Langue de Barbarie, de qui?


De Barbarie. C’est une île reliée à l’île de Saint-Louis par un pont d’une dizaine de mètre. Le fleuve Sénégal les sépare. De l’autre côté de l’île, l’océan Atlantique, notamment. Je n’ai rien lu encore sur cette île. Je vous livre uniquement ma perception des atmosphères variés et très intenses que j’apprends à saisir à chacune de mes visites. Vous enjambez le pont. Les rives sont colorées de longues pirogues. Nous entrons dans le domaine des pêcheurs. En arrivant sur son dos, on peut presque apercevoir l’océan de l’autre côté. Et presque percevoir le chalutier géant, sud coréen, stationné à quelques kilomètres de la plage. Ils sont là depuis un mois. Ils ont des difficultés à recruter le nombre nécessaire de pêcheurs saint-louisiens, pour partir en haute mer, remplir les calles de poissons et retourner en Asie. Les conditions de travail y sont très difficiles. Ils ne donnent que 5 litres d’eau par jour et par pêcheur, me dit-on. Sur la partie droite de l’île, un réseau de petits couloirs au milieu de petits magasins couverts. Des tailleurs qui s’affèrent pour rentrer dans les délais pour lesquels ils se sont engagés. La fête musulmane de la Tabaski approche. Des vendeuses de fruits et légumes avec leurs grands sourires et cette dignité qui vous rend plus humble. Une grande boucherie, des quincailleries à n’en plus finir, des vendeurs de moutons, des vendeuses de tissus en affaire. On s’y perdrait, mais avec plaisir. Bien sûr j’ai mes points de repère. Il y a le tailleur qu’Alouine m’a recommandé. Il s’agit du secrétaire général de la fédération agricole avec qui j’ai commencé à travailler. Il y fait confectionner tous ces habits. Il y a Amsatou, la sœur du directeur du CECI pour le Sénégal. Elle y tient une étale de tissus. Dans ce méandre de petits commerces, elle m’a déjà trouvé une très bonne couverture, les nuits sont fraîches en ce moment. Elle m’a vendu un bon tissu pour recouvrir le matelas de mon lit. Et il y a cette boucherie dans laquelle on m’a accueilli avec empressement. Un entrepôt gigantesque dans lequel tournoient les carcasses de bovins. C’est sûr, mon premier ragout me ramènera ici sous peu. Cette partie de l’île est très vivante, très agréable.
L’autre partie est plus difficile d’accès me semble-t-il. Physiquement, c’est moins étroit, il y a beaucoup moins de commerce. Mais le nombre de personne y est si important. On le compare, paraît-il aux quartiers de Calcutta, pour la densité de population. Et il m’a semblé qu’au moins les trois quarts des individus avaient moins de 16 ans. Il y a tellement d’enfant. Tu sais, me disait Modou, le chauffeur du CECI, « ici, il est rare qu’un homme n’est qu’une seule femme ». D’ici parte toujours les jours des camions entiers remplis de poissons frais ou séchés. C’est l’univers des pêcheurs. On ne vit presque que de la pêche. Sur des portes, le symbole des marabouts mourides. Ce sont des « professeurs coraniques » très respectés. On ressent rapidement en marchant dans les rues, une homogénéité, un collectif très soudé et régis par un mode de vie très codés. Bien sûr, je n’en saisi presque rien. Par contre, ce que je sais, c’est que depuis que j’ai vu les premières pirogues je n’arrête pas de questionner Modou sur les habitudes de pêches des habitants de l’île. Penses-tu que je pourrais partir en mer avec eux? Combien de temps partent-ils? Certains d’entres eux, affrontent parfois les gardes côtes mauritaniens, me répond-il. Mais tu pourrais demander à Cheik, il en connaît, il pourrait te mettre en contact avec une embarcation sûre et qui n’irait pas vers la Mauritanie. La frontière est très proche et les eaux sénégalaises ne sont plus aussi poissonneuses qu’avant. Depuis que les bateaux-usines européens ont acquis les droits de pêche sénégalais, ils poussent progressivement les pêcheurs sénégalais vers d’autres activités. Le carburant, l’achat des bateaux, les droits de pêches, tout est subventionné par la communauté européenne. Un seul bateau européen traite en une journée ce qu’un piroguier sénégalais pêche en 55 ans. Il est devenu plus rentable pour un pêcheur de vendre sa pirogue aux passeurs d’immigrants illégaux.
Les femmes donnent l’impression d’alimenter les fumoirs jours et nuits. De jeunes garçons armés d’un fil et d’un hameçon s’exercent aux rudiments de la pêche. L’endroit est mystérieux. Il m’attire.
Bien sûr, vous êtes les bienvenus pour découvrir cet environnement qui n’est qu’à 10 minutes de mon appartement. Il y a un aéroport international à Saint-Louis, une chambre d’amis dans mon appartement. La ville est sûre, très colorée. Ne l’entendez-vous pas? elle vous appelle!